Le réveil des géants du café ?

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Avec le rachat annoncé de MaxiCoffee par le Groupe Lavazza, c’est le petit monde de la DA qui bruisse de questionnements. Jusque-là isolé le marché du vending devient un terrain de jeu des grands acteurs du café et plus largement d’industriels… mais est-ce réellement une nouveauté ?

La semaine dernière le monde du vending a subi ce que certains qualifient de séisme avec l’annonce de la volonté du Groupe Lavazza de racheter MaxiCoffee leader français du vending et du commerce du café en ligne. Beaucoup restent encore sur le fait que cette initiative vient bouleverser un équilibre du monde de la gestion des distributeurs automatiques. En effet jusque-là le marché restait concentré sur des opérateurs indépendants faisant appel à des industriels pour exploiter et travailler la pause détente en entreprise et dans les lieux publics. La prise de position d’un torréfacteur comme Lavazza dans le métier laisse perplexe et peut être interpréter comme le franchissement par un industriel du Rubicon (entendu comme la frontière entre l’exploitation et le rôle de fournisseur). C’est une position effectivement défendable dans la mesure ou le torréfacteur de Turin, troisième acteur mondial du café met, avec ce rachat, un pied directement dans le monde de la gestion et viendrait concurrencer directement les opérateurs indépendants. 

Une présence déjà effective

Il me vient alors plusieurs réflexions que je tiens à vous partager. La première réflexion reste que ce n’est pas la première incursion des industriels dans le marché du vending. Lavazza n’est pas le premier à le faire. En effet Coca Cola par exemple a déjà fait cette démarche depuis des années au travers de l’exploitation de matériels boissons fraîches et notamment en France. Certes la marque n’exploite plus en direct laissant aux opérateurs l’exploitation de leurs propres automates. Mais en Europe notamment le Groupe Coca Cola exploite des gestions au travers d’une entité  Chaqwa . Plus encore le groupe a racheté il y a plusieurs années Costa Coffee leader du marché du coffee-shop en UK et présent à l’international exploitant notamment des distributeurs automatique (costa express). Enfin Coca Cola c’est aussi café Vergnano pépite italienne de la torréfaction. Mais il n’est pas le seul a lui aussi avoir fait le choix de venir s’intéresser au vending. En effet JDE (appartenant à JAB, deuxième acteur mondial du café) a lui aussi fait le choix d’exploiter en direct des distributeurs automatiques. En France c’est Maison Lyovel son bras armé de l’exploitation avec une présence sur une grande partie du territoire. Quid de Nestlé qui reste le leader mondial du café. Et bien il est présent de manière directe sur le segment de l’OCS via Nespresso Pro et entretien des relations étroites avec les grands acteurs européens notamment Selecta avec qui il a passé un accord de distribution stratégique.

Une compétition multi-canaux

La deuxième réflexion est que cette tendance n’est ni une surprise ni une révélation. En effet pour comprendre ce phénomène il convient de regarder le marché du café de manière plus large. Les grands acteurs se confrontent depuis des années sur le marché de la grande consommation et donc clairement en GMS que ce soit sur le café grain, le café moulu, le café instantané mais aussi les capsules et la guerre ne s’y fait pas à fleuret moucheté. C’est aussi le cas depuis des années sur les marchés Hors Domicile comme le CHR ou les marchés collectifs qui sont aussi des marchés de café dans l’accompagnement d’un repas, sur le petit déjeuner. C’est également le cas sur le segment des coffeeshops. Coca déteint Costa, Nestlé déteint des pépites comme Blue Bottle, JAB détient Prêt à Manger ou encore Caribou Coffee, Stumptown Coffee Roaster… Et Lavazza, quant à lui, a investi dans le monde des coffeeshop en Chine et sera présent via les unités MaxiCoffee en France ou encore le monde des concepts produits-machine comme Klix rebaptisé Lavazza Professional . Nestlé n’est pas directement présent sur ce marché encore que ce dernier a passé des accords de distribution de la marque leader Starbucks dans le monde sur les marchés hors salon de café. Autrement dit les grands acteurs internationaux du café investissent depuis plus de dix ans partout où il se consomme du café. Ce fut dans un premier temps de manière indirecte mais désormais de manière plus volontaire. C’est un moyen de venir challenger chaque canal de consommation et de pousser les marques et leur internationalisation. La bataille n’est pas hexagonale ou limitée à un marché mais multi-canal et mondiale. 

La France deuxième marché européen

La troisième réflexion concerne le marché du vending français plus particulièrement. Son développement en fait le second marché européen derrière l’Italie. Il se concentre depuis plus de 20 ans, le nombre d’opérateurs étant passé sous la barre du millier d’acteurs contre 2500 dans les années 90. C’est un marché qui est passé souvent inaperçu pendant des années mais qui adresse une offre coffee&food à un secteur bien particulier : l’entreprise et plus largement la collectivité. C’est un des silos de la CHD. Le « buro » depuis le Covid est apparu comme un lieu de vie important du consommateur et force est de constater que les épisodes de confinement ont pointé du doigt l’importance de ce marché, des volumes qu’il charrie et de la visibilité qu’il peut procurer à la marque de café qui une fois présentes dans une machine n’est plus directement concurrencée et touche directement le consommateur de manière quasi permanente. L’opérateur de gestion déteint là un trésor car il capte l’attention de son client de manière exclusive. L’arrivée des grands acteurs du café sur ce segment de marché n’est donc pas anodine, voire peut devenir stratégique à l’heure où ils tentent de capter l’attention des consommateurs via des investissements publicitaire et numériques lourds. C’est enfin pour eux le moyen d’associer un silo de distribution à une filière et de ne plus être un simple fournisseur intermédiaire. rappelons tout de même qu’en Italie IVS est d’ores et déjà leader et que Lavazza est partie prenante du capital de ce dernier. Dans le nord de l’Europe et en France JDE est présent de même que Chaqwa… et qu’en Allemagne c’est ne leader national du café Dallmayr qui est présent avec des acteurs comme Chaqwa. enfin le leader européen Selecta malgré sa restructuration évolue sur l’ensemble des marchés européens talonné par IVS désormais.

Une nouvelle étape de structuration de marché

Enfin chacun peut se demander si cette logique est durable et sera rentable ? Nous ne sommes qu’au début d’un profond bouleversement de marché à mon sens. Le retour Covid et la concentration du marché de même que la santé financière des différents acteurs de la gestion peut expliquer le tempo qui se met en place. La période peut sembler opportune et stratégique pour les acteurs du café et plus largement l’industrie agro-alimentaire. L’implication des torréfacteurs n’est pas nouvelle. Depuis plus de 20 ans bon nombre d’acteurs régionaux ont élargi leur marché en passant du CHR traditionnel à la capsule professionnelle et au vending. L’arrivée des torréfacteurs nationaux et internationaux n’est qu’une couche supplémentaire du mille-feuille de la gestion. Le vending restant une activité très fortement liée à l’exploitation, l’acquisition d’acteurs d’envergure est aussi pour ces derniers un moyen de venir acheter une compétence et une expérience. Il est pour ainsi dire sur qu’ils détiennent des moyens d’investissement et des ressources importantes pour venir adresser des réponses marché. Il est aussi certains que non seulement les opérateurs indépendants sont impactés mais les autres acteurs comme les fabricants de machines, de monétique aussi. Le vending entre dans une nouvelle ère et elle peut être comprise comme source d’opportunités pour l’ensemble de la profession comme la revalorisation des prestations, l’introduction d’innovations et l’élargissement des prestations proposées au client final. Et c’est bien là l’enjeu car le consommateur comme le donneur d’ordre sont les seuls juges de paix.