Bâtir sa force en se fédérant et en l’exerçant

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Yoann Chuffart, Directeur général de la Fédération NAVSA répond de manière directe – et c’est son style – peu avant l’Assemblée Générale de la Fédération le 19 mai prochain. La crise ukrainienne va impacter la situation économique et l’ensemble de la profession doit en prendre conscience et se regrouper encore et toujours plus derrière son organisation patronale.

food&coffeemarkets : Vous organisez votre prochaine Assemblée Générale le 19 mai prochain c’est un moment important pour NAVSA ?

Yoann Chuffart : L’assemblée générale est le moment « officiel » de réunion annuelle des entreprises adhérentes : il s’agit à la fois d’un « rendu des comptes » (dans tous les sens de l’expression) et d’un « temps fort » pour discuter ensemble les enjeux et l’avenir de la profession. C’est aussi un moment festif, qui permet aux uns et aux autres, acteurs de la DA, de se retrouver ou de faire connaissance. Enfin, c’est l’occasion pour les adhérents comme pour la Fédération de renforcer le lien car la vie fédérale se construit et s’entretient grâce aux contacts réguliers et vivants entre l’organisation et les entreprises. Se connaître, c’est évidemment mieux se comprendre et mieux agir ensemble. La Fédération doit pouvoir compter sur ses adhérents comme ces derniers doivent pouvoir compter sur elle. L’assemblée générale est le moment idéal pour se le rappeler et le répéter, pour aujourd’hui et pour demain, car la Fédération tire ses forces de ses adhérents, dont le concours est nécessaire pour la défense efficace de leurs intérêts.

food&coffeemarkets : La profession a traversé beaucoup de moments pénibles ces 20 derniers mois : pensez-vous que le pire est passé ?

Y.C. : Nous le disons sans détour : le pire est à venir. En effet, les conséquences économiques et financières du conflit russo-ukrainien seront pires que celles de la crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid-19 ». Nous sommes au cœur de la gestion de crise gouvernementale, nous travaillons aussi de concert avec de nombreuses organisations patronales, autrement dit nous avons une très bonne connaissance du contexte, des risques et des enjeux. S’ensuit que nous pouvons affirmer sans craindre de trop nous tromper que la situation économique, en 2022, va se dégrader dans des proportions qui dépassent celles atteintes en 2020-2021. Evidemment, on pourra toujours nous taxer d’être « l’oiseau de mauvais augure » : à cela nous répondons que nous avons le devoir de dire ce que nous savons ! Aucune organisation patronale ne tire profit de la panique des acteurs économiques, on ne pourra donc pas nous soupçonner d’avoir intérêt à la peur. Il reste donc que nous sommes très inquiets et que nous ne sommes pas les seuls puisque le gouvernement le premier, nous relaie chaque semaine sa très grande inquiétude sur la situation. On parle d’une « crise systémique, appelée à durer ». Tout est dans ces mots. Et les entreprises qui demeurent encore en dehors du champ fédéral ont du souci à se faire, plus que les autres… Et d’abord en termes d’informations, si l’on pense que c’est en étant bien informé que l’on se prépare le mieux à affronter les difficultés : or les médias sont loin, très loin, d’être au niveau d’information des organisations patronales ! Evidemment, toute l’action fédérale échappera aussi à tous ces chefs d’entreprise non­-adhérents, c’est-à-dire en premier lieu l’association à la stratégie d’influence mise en œuvre pour définir les solutions appropriées aux problèmes qui ne manqueront pas de se poser tout au long de la crise, soit au moins pour les deux années à venir. Nombreux aussi seront ceux, parmi les non­-adhérents, qui se trouveront fort dépourvus lorsqu’il s’agira de comprendre ce que l’Etat pourra pour eux dans bien des situations périlleuses dont le traitement relèvera de l’action fédérale auprès des pouvoirs publics… Enfin, toutes ces entreprises éloignées du monde fédéral s’excluent de fait du dialogue institutionnel et passeront une crise après l’autre à subir sans avoir leur mot à dire et en espérant récolter un peu de ce que sème la Fédération. En un mot, nous en avons fini avec l’appel à la responsabilité : désormais, nous croyons que les événements parleront pour nous.

food&coffeemarkets : La fédération s’est beaucoup investie pendant les crises, qu’en ressortez-vous en termes d’expérience ?

Y.C. : Depuis que la nouvelle équipe est en place, les crises se sont succédées : crise écologique, crise sanitaire, crise géopolitique… Aujourd’hui, nous pouvons affirmer, avec l’assentiment de nos adhérents, que nous savons faire. Cela ne signifie pas que la Fédération peut tout, mais qu’elle est incontestablement l’interlocuteur unique des pouvoirs publics pour la profession et, également, le porte-parole reconnu des acteurs du secteur dans les médias. Aujourd’hui, nous avons un réseau de relations établi avec le Gouvernement, le Parlement, la Haute-Administration, les Confédérations et les Fédérations du secteur de l’alimentaire – et même au-delà. Cela nous positionne assurément comme une « instance » dans l’environnement de la décision publique ; autrement dit, NAVSA fait bien partie de ce que l’on désigne « corps intermédiaires », qui sont les seuls interlocuteurs réguliers et autorisés des pouvoirs publics en dehors du champ politique à proprement parlé. Enfin, la gestion de crise a permis l’épanouissement, si l’on ose dire, de notre capacité à apporter conseil, soutien et assistance aux entreprises, à les orienter dans le dédale administratif, à faciliter leurs démarches, à les mettre en relation avec les autorités si besoin, à penser des solutions appropriées aux problèmes particuliers posés…

food&coffeemarkets : Sentez-vous un climat de reprise optimiste ?

Y.C. : Si 2021 avait donné des signes encourageants et que le début de l’année 2022 apparaissait prometteur, le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, avec les conséquences économiques et financières que celle-ci emporte, vient assombrir le ciel de la « Reprise ». Et il ne s’agit pas de la DA en particulier : c’est bien l’économie nationale, et même européenne, qui entre en crise. Avec, en outre, toutes les interrogations qui demeurent sur l’évolution de la situation, en lien avec le positionnement de nouveaux acteurs dans le conflit, l’extension de celui-ci à d’autres zones en Europe, l’éventualité d’une « occasion saisie » pour réveiller ou déclencher des conflits similaires ailleurs dans le monde… Bref, l’instabilité géopolitique qui découle de la guerre russo-ukrainienne perturbe gravement le « climat des affaires » et le « mauvais temps » va durer, si ce n’est que cela tourne à l’intempérie en cas d’aggravation du conflit.

food&coffeemarkets : Les épisodes de crise n’ont-ils pas mis en évidence que la profession ne peut plus « vivre en ermite » ?

Y.C. : Sans aucun doute. La profession, qui a vécu heureuse en vivant cachée durant de longues années, découvre comme d’autres avant elle que le politique peut s’intéresser à elle et… la « chahuter » voire la mettre en danger, que des décisions publiques touchant des secteurs connexes peuvent aussi gravement l’impacter, que des crises générales sont susceptibles de se produire et mettre « K.O » l’économie nationale tout entière, que les « choix de société » peuvent remettre en cause son modèle économique, que la « société civile » peut se mêler de politique et conduire à des évolutions légales et réglementaires inattendues, que l’Union Européenne s’occupe de bien des choses et, ce faisant, peut gravement nuire à la santé économique des acteurs nationaux, et j’en passe… Alors, non, la profession ne peut plus « vivre en ermite » dans un monde « post-moderne » qui a créé, entériné et développé l’interdépendance.

food&coffeemarkets : Quels sont les enjeux pour les professionnels à se regrouper ?

Y.C : En un mot, se fédérer, c’est bâtir sa force et pouvoir l’exercer. Un secteur économique influent, c’est avant tout un secteur uni. Une idée-reçue voudrait que seuls « pèsent » dans la décision publique, les « gros » secteurs économiques : rien n’est moins vrai ! Il est de « petits » secteurs très influents du fait que les acteurs sont regroupés en nombre et font « bloc » autour de leur organisation professionnelle. Nul besoin, donc, d’être un secteur stratégique ou encore un « poids lourd » de l’économie nationale pour se faire entendre : c’est sans doute là ce qui doit être martelé aux gestionnaires ! Leur influence, c’est surtout celle qu’ils se donnent les moyens d’avoir ! NAVSA compte à ce jour près de 270 entreprises adhérentes : si celles-ci représentent 70% du chiffre d’affaires du secteur (3 milliards d’euros par an), il est évident que beaucoup manquent encore à l’appel ! Ces gestionnaires doivent avoir présent à l’esprit que le « lieu » de leur influence, c’est l’organisation patronale et nulle part ailleurs. À bon entendeur…